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Tourte au kirsch de Zoug : comment protéger un bien culturel culinaire

Pâtisserie très appréciée, la Zuger Kirschtorte (tourte au kirsch de Zoug) a pour ainsi dire été classée au patrimoine : depuis quelques années, cette spécialité constitue une indication géographique protégée (IGP), à l’instar d’autres produits suisses. Autrement dit, seuls les fabricants qui produisent cette tourte dans le canton de Zoug et selon certains critères ont le droit de l’appeler « Zuger Kirschtorte ».

La tourte au kirsch de Zoug a été inventée en 1915. Depuis 2015, elle bénéficie d’une indication géographique protégée (IGP). Copyright: IGE

L’histoire de ce gâteau alcoolisé commence il y a plus de 100 ans. Heiri Höhn invente la tourte au kirsch en 1915, au numéro 7 de l’Alpenstrasse à Zoug. Le pâtissier se laisse alors inspirer par les kirschs produits dans les distilleries de son quartier. Ainsi, sa tourte se caractérise non seulement par son goût sucré, mais aussi par sa teneur en alcool. Au cours des décennies, cette spécialité acquiert une renommée qui dépasse les frontières de la ville, du canton, et même du pays. Afin de préserver et protéger ce bien culturel, la Zuger Kirschtorten Gesellschaft (ZKTG), société dédiée au fameux mets sucré, voit le jour en 2010.

 

Un accord parfait avec la saucisse de veau de Saint-Gall

La ZKTG dépose alors une demande auprès de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) pour que la dénomination de cette spécialité zougoise bénéficie d’une indication géographique protégée (IGP). Le 6 mars 2015, l’OFAG inscrit la dénomination au registre correspondant, auquel figurent également d’autres produits suisses, tels que la St. Galler Kalbsbratwurst (saucisse de veau de Saint-Gall) ou l’Appenzeller Mostbröckli (spécialité appenzelloise de viande séchée). Le Zuger Kirsch (kirsch de Zoug) et le Rigi Kirsch (kirsch du Rigi) y sont eux aussi répertoriés, mais en tant qu’appellations d’origine protégée (AOP), soumises à des critères plus sévères que les IGP.

 
 

Des règles du jeu très claires

Que signifie cette protection ? L’indication géographique protégée (IGP) désigne des produits qui sont liés à leur région de fabrication. Comme l’explique Oliver Isler de l’OFAG (secteur Promotion de la qualité et des ventes), « la dénomination Zuger Kirschtorte ne peut être utilisée que par les fabricants qui remplissent les conditions énoncées dans le cahier des charges ». Cette protection de droit public ne porte pas uniquement sur le nom. « Celle-ci s’applique tant en Suisse que dans les pays qui reconnaissent la protection de l’indication géographique, par exemple en vertu d’accords bilatéraux », précise Oliver Isler.

 

En quatre pages, le cahier des charges décrit par exemple les ingrédients à utiliser, l’aspect du gâteau et son processus de confection. Sa teneur en alcool doit être d’au moins 4 pour cent de son poids. Seuls du Zuger Kirsch ou du Rigi Kirsch peuvent être utilisés pour sa fabrication. La décoration des côtés doit être composée d’amandes effilées et grillées, et l’assemblage de la tourte doit se faire à la main. À cela s’ajoute le fait que le gâteau doit être confectionné dans le canton de Zoug.

 
 

Un contexte historique qui a son importance

Lors de l’inscription au registre, il convient également de démontrer le contexte historique du produit. C’est ce dont s’est chargé Bruno Heini, propriétaire de la pâtisserie « Treichler, Erfinderhaus der Zuger Kirschtorte » (Treichler, inventeur de la tourte au kirsch) quand il a effectué cette démarche. Il trouve alors des preuves historiques de l’année d’invention, 1915, sous forme de textes publicitaires. Selon lui, c’est au printemps 1915 que le pâtissier Heiri Höhn fait pour la première fois de la publicité pour sa tourte, et en automne de la même année, son texte publicitaire vante les mérites d’une « Zuger Kirschtorte mit Zuger Kirsch » (« tourte au kirsch zougoise avec du kirsch de Zoug »). Dans le cadre de ses recherches, Heini a eu l’occasion d’interviewer la nièce de Heiri Höhn, pour qui cette année d’invention est également plausible. L’OFAG a validé l’histoire de ce gâteau, précisant que celui-ci est rendu unique par les motifs en forme de losanges qui ornent sa couche de sucre glace.

 

Autrefois moins alcoolisée

Le cahier des charges de l’IGP se fonde sur la recette originale de 1915. « La tourte de l’époque n’était pas encore aussi épaisse que celle que l’on connaît aujourd’hui. En cause : la pénurie qui sévissait en raison de la Première Guerre mondiale. Beaucoup de marchandises manquaient, c’est pourquoi on économisait sur tout, y compris sur la taille des tourtes », indique Heini. De plus, les recettes les plus anciennes prévoyaient de la vanille en poudre, ce qui n’est plus autorisé par l’IGP actuelle. En outre, du temps de son invention, cette pâtisserie contenait nettement moins de kirsch que ce que l’on s’accorde aujourd’hui.

 

Deux moments délicats durant la production

Le pâtissier expérimenté précise qu’en dépit du cahier des charges, la confection de ce dessert n’est pas si anodine. Ainsi, la génoise ne doit pas être trop poreuse, faute de quoi la liqueur de kirsch ne parvient pas à se maintenir dans les petites poches d’air. La deuxième difficulté réside dans la crème : sa température est décisive. Elle doit être onctueuse, sans quoi elle ne se lie pas bien au bord. Résultat, lors de la découpe ou au plus tard lors de la dégustation, le bord se détache, un signe que la crème était trop froide. « Un bon pâtissier n’a pas besoin qu’on lui explique cela. Pourtant, il s’agit d’une erreur fréquemment observée », conclut Heini.

 
  

Encadré

Lors de la demande d’enregistrement d’une IGP, l’OFAG vérifie que les conditions suivantes sont remplies.

  1. La dénomination à protéger doit désigner un seul produit.
  2. Elle doit désigner un produit ayant une origine géographique (p. ex., la tourte au kirsch de Zoug).
  3. Elle doit être utilisée par un groupement de producteurs et/ou de transformateurs.
  4. Elle doit désigner un produit qui se distingue clairement des autres produits de sa famille.
  5. Elle doit être connue ou doit désigner un produit qui présente un caractère historique et/ou traditionnel.

L’IPI, d’autres services fédéraux et les autorités cantonales concernées collaborent avec l’OFAG lorsqu’une demande est déposée. En effet, les critères de la « Swissness », par exemple, s’appliquent également aux IGP. Ainsi, 80 % des matières premières disponibles doivent provenir de Suisse. Les critères de l’IGP sont contrôlés au moins une fois par an par un organisme de certification.

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